Partager la publication "Notre-Dame-des-Landes : 48 heures chez les « squatteurs » 3/6"
Qui se cachent sous ces cheveux sales, maculés de boue, tantôt détrempés par la pluie, tantôt brûlés par le soleil ? Ces hippies porteurs d’utopie comme d’une incurable maladie, et ces punks anar’ qui, comme leurs clébards, refusent de se balader au bout d’une laisse ? Les clichés qui pèsent sur les occupants de la ZAD – Zone d’Aménagement Différée rebaptisée Zone à Défendre par les opposants au projet d’aéroport du Grand Ouest – ces « squatteurs », sont nombreux et peu élogieux. A qui la faute ? Aux baveux en mal de sensations fortes qui, pour inscrire leur nom dans les colonnes de la presse mainstream, jouent sur les peurs du Français moyen. Aux journaleux qui, pour se faire, sinon une place au soleil, du moins des épinards au beurre, reprennent en cœur les discours des politiciens ? Pour le savoir, deux de nos journalistes ont passé 48 heures du côté de Notre-Dame-des-Landes.
Quand les douze coups de midi – ou de quinze heures, la ZAD accusant en moyenne un retard de trois heures par rapport au fuseau horaire du reste de la France – retentissent sur la ferme des Cent noms, les jeunes militants devenus paysans viennent se serrer autour de l’imposante table en bois. Au menu : des féculents, riz ou pâtes, « fauchés » dans les poubelles des supermarchés, des céréales, maïs, avoine ou quinoa, cueillies dans les rayons de la Biocop, des légumes, tomates, chicons, concombres ou poivrons, récoltés dans les allées parfumées du potager, des œufs, juste sortis du cul des demoiselles du poulailler, et du pain en abondance. Pour l’heure, la nourriture ne manque pas sur la ferme. Mais cet hiver, les paysans sans terre – c’est ainsi, qu’avec ironie, ils se sont baptisés – iront crier famine chez les fourmis de « Babylone » (1) leurs voisines. A moins qu’ils ne parviennent à conserver, dans des bocaux, les fruits d’un été ensoleillé. C’est ce qu’explique Francis, le cuisinier de la famille, en feuilletant un livre sur la mise en conserves des aliments : « je n’ai pas envie de me nourrir exclusivement de betteraves et de pommes de terre cet hiver. Je vais essayer de faire des conserves. » Un pas de plus vers l’autonomie, c’est un pas de moins vers la faim ! Les occupants de la ZAD ne sont pas tous d’insouciantes cigales.
Des légumes, tomates, chicons, concombres ou poivrons, récoltés dans les allées parfumées du potager. (c) B.D
Pourtant, ce midi, la ZAD chante. A la table des Cent noms, un drôle de ballet commence. Les casseroles et les poêles brûlées par le charbon se croisent. Attention ! Ça tâche ! Les plats se vident pendant que les estomacs se remplissent. Les couteaux et les fourchettes s’entrechoquent dans les assiettes. Les verres et les bocaux tintinnabulent au dessus de la table. A la tienne ! Et les conversations vont bon train. Plus bavarde qu’une vieille pie la ZAD ! Ce qui est vrai pour les Cent noms, l’est aussi par ailleurs. Trois semaines plus tôt, c’est la Plate-forme – immense cabane construite dans un arbre à l’Ouest de la D281 – qui semblait jacasser sans plus pouvoir s’arrêter. Au cœur du débat entre Florence, prof dans le sulfureux neuf-deux, et Laurent, jeune nomade, la place de la femme sur la ZAD :
Aux Cent noms, les sujets de conversation s’enchaînent sans transition et les orateurs se succèdent joyeusement au micro même si certains le monopolisent plus que d’autres. « Qui se met avec moi sur le chantier des briques ? » demande Joseph, jeune zadiste dont le torse ferait pâlir de jalousie tous les yétis de l’Himalaya. « Il me faut trois personnes », poursuit-il. Quatre ou cinq volontaires se manifestent aussitôt. Car les Cent noms n’ont pas peur d’aller au charbon… Ou dans la boue ! Parmi eux, des membres du collectif, mais aussi de simples visiteurs, venus passer quelques jours sur la ZAD, comme ça, pour filer un coup de main, pour soutenir le mouvement des anti-AGO (aéroport du Grand Ouest). A l’instar de ces trois Rennais de l’association Carpes, que nous retrouverons plus tard…
Palabres et palabres et palabres… Les discussions, qui ponctuent le repas, reprennent entre le plat et le dessert, quand dessert il y a… A l’ordre du jour : les chantiers en cours donc, mais aussi, l’état des finances du collectif, les relations (parfois conflictuelles) avec les autres familles de la ZAD, le rythme d’allaitement des cinq lapereaux orphelins de la ferme, la mise en place d’une action directe lors de la manifestation des Veilleurs, ces jeunes militants aussi catholiques que cathodiques farouchement opposés au mariage gay, l’arrivée prochaine d’une documentariste, Marie-Dominique Dhelsing, venue tourner un film sur les Cents noms. Le sujet des Veilleurs, mis sur la table par l’anar’ de la bande, Marcel, ne suscite que peu d’intérêt parmi les camarades de la ZAD. L’ancien professeur essaie pourtant de les faire rire, en scandant des mots d’ordre caricaturaux, qui visent à dénoncer l’homophobie des jeunes cathos : « Les homos, faites comme nous, refoulez-vous » ou encore « Hitler, reviens finir le boulot ».
Les zadistes, sinon obsédés du moins intéressés par leurs incursions dans les médias, préfère se focaliser sur un autre sujet de conversation, le projet de documentaire sur la ferme des Cent noms. « Est-ce qu’on aura un droit de regard sur la production finale ? », demande l’un d’eux, visiblement soucieux que la réalité soit déformée en postproduction. « Moi, je ne veux pas qu’elle [la documentariste] me filme ! », lance un autre. « Ceux qui ne voudront pas apparaître à l’écran seront coupés au montage », rassure Francis, soutenu par Manuel qui rappelle l’opportunité que représente une telle publicité : « C’est important de montrer aux gens qu’on peut vivre autrement. Ca peut leur donner des idées ». Mais Manuel et Francis ne parviendront pas à convaincre leurs frères d’armes qui, ne sentant pas la journaliste, trop « condescendante », ou ne voulant pas apposer leur nom sur un contrat, décideront à la fin du repas d’en rester là… pour le moment.
(1) Dans l’Apocalypse de Jean (dernier livre du Nouveau Testament) et aujourd’hui encore, la capitale de l’ancienne Babylonie, Babylone, incarne le Mal, l’oppression et la corruption.
Photo en Une : les zadistes passent à table. (c) H.R.
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